altL’Académie nationale de médecine a pris connaissance de la proposition de loi N° 531 relative à la régulation de l’installation des antennes relais de téléphonie mobile déposée à l'Assemblée nationale, le 1er octobre dernier, par Jean-David Ciot, député d'Aix-en-Provence.1


Tout en adhérant à la demande de nos concitoyens en faveur de davantage de débat public et de transparence dans la décision en santé publique élargie aux questions environnementales, l'Académie regrette une initiative fondée sur un flou scientifique et réglementaire qui, ne pouvant se prévaloir en dernier recours que du principe de précaution, est de nature à renforcer artificiellement chez nos concitoyens un sentiment de peur et de défiance injustifié, mais préjudiciable en termes de santé publique.

Dans la perspective d'un débat parlementaire sur le sujet, l'Académie souhaite que les arguments scientifiques ne soient pas encore une fois occultés ou déformés.


C'est pourquoi elle tient à rappeler ses précédentes mises au point 2 et à rectifier, références à l'appui, les erreurs et imprécisions contenues dans cette proposition de loi.


1. Le classement en « possiblement cancérigène » (2B) par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) ne concerne pas les antennes relais mais les portables, dont les niveaux d’émission sont très différents. En effet, les antennes de téléphonie mobile entraînent une exposition aux champs électromagnétiques 100 à 100.000 fois plus faible que les téléphones portables : être exposé pendant 24 heures à une antenne à 1 volt par mètre donne la même exposition de la tête que de téléphoner avec un portable pendant 30 secondes.


On ne connaît aucun mécanisme par lequel les champs électromagnétiques dans cette gamme d’énergie et de fréquence pourraient avoir un effet négatif sur la santé. Le rapport scientifique de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire Environnementale et au Travail (Afsset) sur les radiofréquences, d’octobre 20093, a montré que les hypothèses concernant les mécanismes biologiques qui auraient pu être à l’origine d’un effet sanitaire des radiofréquences n’ont pas été confirmées :

- les champs électromagnétiques utilisés en téléphonie mobile ne génèrent pas de radicaux libres de l’oxygène et ne potentialisent pas le stress oxydant (p 152) ;

- ils ne sont ni génotoxiques, ni co-génotoxiques, ni mutagènes (p 165) ;

- il ne semble pas exister d’effet inducteur non thermique des radiofréquences sur l’apoptose cellulaire, en particulier pour les cellules d’origine cérébrale (p 170) ;

- ils n’ont pas d’effet cancérogène ou co-cancérogène (p 174) ;

- ils n’ont pas d’effet délétère sur les cellules du système immunitaire (p 177) ;

- les travaux conduits depuis 2005 convergent vers une absence d’effet sur la barrière hématoencéphalique pour des niveaux d’exposition (DAS) allant jusqu’à 6 W/kg (p 183) ;

- ils ne modifient pas la sécrétion de mélatonine (p 215) ;

- ils ne provoquent pas d’augmentation d’incidence ou l’aggravation de cancers expérimentaux dans les conditions testées (p 401) ;

- à ce jour, aucun mécanisme d’interaction onde-cellule n’a été identifié (p 25) ;

- aucune preuve n'existe à ce jour que l’utilisation régulière de téléphone mobile augmente le développement de cellules cancéreuses ou pré-cancéreuses et n'augmente ainsi, du fait de ce mécanisme de « promotion », le risque de tumeur intracrânienne (p 249)

- les antennes-relais n’émettent pas de basses fréquences (p 96) ;


Ce rapport conclut : « Au vu de l’analyse détaillée et critique des travaux effectuée par le groupe de travail, et compte tenu par ailleurs de l’état antérieur des connaissances, aucune preuve convaincante d’un effet biologique particulier des radiofréquences n’est apportée pour des niveaux d’exposition non thermiques, dans les conditions expérimentales testées. « (p 400). Ces conclusions rejoignent l’avis unanime d’autres expertises collectives (OMS4, Scenihr5, rapport Zmirou6, OPECST7 ou ICNIRP8) qui confirment l’absence de risque des antennes-relais.


Comme le Health Council des Pays Bas9, qui lui dénie toute valeur scientifique, le rapport Affset 2009 récuse les conclusions du rapport Bioinitiative 2007 : « Le rapport BioInitiative doit donc être lu avec prudence : il revêt des conflits d’intérêts dans plusieurs chapitres10, ne correspond pas à une expertise collective, est de qualité inégale selon les chapitres et est écrit sur un registre militant » (page 324).


2. L’électrohypersensibilité. A ce jour, aucun système sensoriel humain permettant de percevoir les champs électromagnétiques utilisés par la téléphonie mobile n’a été identifié. Des dizaines d'études ont été effectuées ; elles ont montré à la quasi-unanimité que les sujets se disant électrohypersensibles, bien que manifestant des troubles variés en présence de dispositifs émetteurs de champs électromagnétiques, sont incapables de reconnaître si ces dispositifs sont actifs ou non. Les études suggèrent un effet nocebo (inverse de l’effet placebo : troubles relatés résultant d’un mécanisme psychologique) et des facteurs neuropsychiques individuels11. L’angoisse et des perceptions somatiques très variées en présence d’émetteurs de champs électromagnétiques peuvent justifier une prise en charge adaptée. L’Académie déplore d'autant plus que ces troubles, pouvant entraîner de graves handicaps sociaux, soient utilisés à des fins contestables au détriment des intéressés.


3. 0,6 V/m ; La demande d’abaisser les valeurs limites à ce niveau n’a aucune justification scientifique12. Ce dogme est fondé sur la recherche d’une protection (avec un facteur de sécurité de 500) contre un effet qui en réalité n’existe pas13. De plus, paradoxalement, dans certains cas, au contraire, en multipliant les antennes-relais (ce qui réduit leur zone de couverture), la puissance d'émission du portable augmente chaque fois que l’on passe d’une zone de couverture à une autre. L’exposition au téléphone portable étant 100 à 100.000 fois plus élevée que celle aux antennes, on risque donc d’augmenter, sans justification, l’exposition des quelques 90% des français qui utilisent un portable, ce que précise clairement le rapport Afsset 2009 : « le groupe de travail recommande de peser avec soin les conséquences d’une telle

réduction, notamment :

1) en terme de multiplication du nombre des antennes ;

2) et en terme d’augmentation possible de l’exposition de la tête aux radiofréquences émises par les téléphones mobiles14.


L’Académie nationale de médecine met en garde contre une instrumentalisation systématique des inquiétudes de l'opinion par la réduction de la complexité de la science et de la technologie à des amalgames associant des données erronées ou imprécises. Une telle instrumentalisation aboutit à une information biaisée par des a priori sans fondement scientifique et à invoquer le principe de précaution de manière abusive et trompeuse.


Références


[1] http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/propositions/pion0531.pdf.


[2] Académie nationale de Médecine. Les risques des téléphones portables :

http://www.academie-medecine.fr/detailPublication.cfm?idRub=27&idLigne=1412

Académie nationale de Médecine. Les risques des antennes de téléphonie mobile :

http://www.academie-medecine.fr/detailPublication.cfm?idRub=27&idLigne=1542

Académie nationale de Médecine, Académie des Sciences, Académie des Technologies. Réduire l’exposition aux ondes des antennes-relais n’est pas justifié scientifiquement :

http://www.academie-medecine.fr/detailPublication.cfm?idRub=27&idLigne=1891


[3 ] http://www.afsset.fr/upload/bibliotheque/964737982279214719846901993881/Rapport_RF_20_151009_l.pdf


[4] Organisation Mondiale de la Santé. http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs193/fr/


[5] Commission européenne. Scientific Committee on Emerging and Newly Identified Health Risks : Health Effects of Exposure to EMF. 19 janvier 2009.


[6] http://ebookbrowse.com/rapport-zmirou-2001-pdf-d73347810


[7] http://www.senat.fr/rap/r09-084-1/r09-084-1.html


[8] http://www.icnirp.de/documents/RFReview.pdf


[9] « le Comité conclut que le rapport BioInitiative n’est pas un reflet objectif et équilibré des connaissances scientifiques disponibles » . The Minister of Housing, Spatial Planning and the Environment. Publication 2008/17E du 2/9/2008.


[10] Site du principal auteur de Bioinitiative 2007 : http://www.silcom.com/~sage/emf/cindysage.html


[11] Rapport Afsset 2009 cf. [3], page 308.


[12] Rapport Afsset 2009 cf. [3], page 340.


[13] La demande d’abaisser le seuil d’émission à 0,6 V/m a pour origine une proposition du Dr G. Oberfeld de Salzbourg, fondée sur une publication de 1996* qui faisait état d’altérations de l’électroencéphalogramme de rats soumis à un champ électromagnétique de 500 mW/m2. Pour se prémunir contre un tel effet il a préconisé de limiter l’émission des antennes à une puissance 500 fois plus faible, aboutissant à la valeur de 0,6 V/m. En 1996, ce seuil avait donc une réelle base scientifique. Mais en 1998** puis en 2000***, les mêmes auteurs ont montré que l’effet qu’ils avaient décrit en 1996 n’existait pas en réalité, même pour des puissances allant jusqu’à 50 000 mW/m2.

* Mann K., Roschke J. (1996). Effects of pulsed high-frequency electromagnetic fields on human sleep. Neuropsychobiology ; 33(1):41-7

** Mann K., Roschke J., Connemann B. et al. (1998). No effects of pulsed high-frequency electromagnetic fields on heart rate variability during human sleep. Neuropsychobiology ; 38(4):251-6

*** Wagner P., Roschke J., Mann K. et al. (2000). Human sleep EEG under the influence of pulsed radio frequency electromagnetic fields. Results from polysomnographies using submaximal high power flux densities. Neuropsychobiology ; 42(4):207-12.


[14] Rapport Afsset 2009 cf. [3], page 406.